Mondes-Perdus.Malade-Palpitant

Putain de bulle à toi aussi...

Mardi 18 octobre 2011 à 21:38

Chapitre numéro un - qui possédera une suite si on en demande une.

Il était une fois....
une petite fille qu'on appelait Chaperon Rouge.
On lui avait donné ce nom parce sa maman lui avait fait un très joli bonnet rouge. Et, à l'époque, les bonnets s'appelaient des chaperons.
Au village, quand on la voyait arriver, on disait : "Tiens, voilà le Petit Chaperon Rouge."

Mais vous connaissez sans doute déjà cette histoire. Voici donc une autre version que je préfère.

Il était une fois… un petit homme qu'on appelait Bûcheron Rouge.
On lui avait donné ce nom parce que son papa lui avait offert une très jolie tronçonneuse rouge. Et, à l'époque, les propriétaires de tronçonneuse s'appelaient des bûcherons.
Au village, quand on le voyait arriver, on disait : "Tiens, voilà le Petit Bûcheron Rouge."

Oui, le début colle plutôt bien au texte original, mais vous allez voir, ça change ensuite. Reprenons…

Au village, quand on le voyait arriver, on disait : "Tiens, voilà le Petit Bûcheron Rouge." Et à quoi on n'oubliait pas d'ajouter : "Tous aux abris !"

En effet, le Petit Bûcheron Rouge n'aimait personne ni rien d'autre que sa jolie tronçonneuse rouge. Et sa seule passion était de l'utiliser sur tout et n'importe quoi. Alors évidemment, dès qu'il arrivait au village, il ne tardait pas à provoquer quelques menus dégâts.

Au début, cela n'était pas très grave. Des rambardes en bois, des pieds de tables ou de chaises… Bien sûr, il entrait chez les gens, mais cela divertissait les villageois de voir un petit gars tant s'amuser avec une jolie tronçonneuse rouge. Par la suite, il découpa les chats de gouttières et les chiens en laisse. Les gens riaient de bon cœur devant un tel spectacle. Imaginez seulement : un petit gars avec sa joli tronçonneuse rouge ! Puis ensuite, il tronçonna quelques vieux mendiants dans la rue. On lui pardonna bien vite. Ce n'était que des vieux débris, voyons. Mais un jour, il brisa une vitrine de banque et tailla en deux une liasse de billet. Là, les gens commencèrent à prendre peur du Petit Bûcheron Rouge.

Alors, un jour où le Petit Bûcheron Rouge avait coupé en rondelle deux bulldogs, un saint-bernard, trois chiots bâtards, une grand-mère et – grands dieux ! – son porte-monnaie, les sages du village formèrent un Grand Conseil des Sages du Village.

Tous réunis autour d'une grande table ronde, les cinq Sages prirent les meilleures dispositions pour discuter du sujet à débattre, oserai-je dire, "à trancher". Ils mangèrent, burent, dormirent, puis, enfin, parlèrent.


« Mes aïeux ! débuta le premier Sage. N'a-t-on jamais vu pareille chose ? Un si p'tit gars, à peine l'âge de prétendre être un homme, couper tout à tout va ! (Il reste du jambon ?) Quand il s'agissait de quelques tables, voire quelques bestioles de compagnie, c'était de bonne plaisanterie. A la limite, ces pouilleux qui hantent les abords du village… (Et de ce vin ?) Bientôt il touchera Mme Aurus, une de nos plus chères concitoyennes ! Il faut faire quelque chose !

- Mais vous avez tout à fait raison, honorable homologue ! répondit le second Sage.

- Il s'agit d'ailleurs d'établir un plan pour éviter un tel malheur, énonça le troisième Sage. Je vous propose de voir ce qui est le plus rentable pour notre village. (Un verre pour moi aussi, merci.) Y en a t-il parmi vous qui aurait des idées

- Je propose, dit le quatrième Sage, de réunir le Grand Conseil des Sages du Village une nouvelle fois dès demain pour rassembler nos différentes idées, qui ne manqueront pas d'être excellentes, j'en suis certain. »

Le dernier Sage était en parfait accord avec ses éminents confrères et n'ajouta rien. Tous cinq se mirent alors dans les meilleures conditions pour débattre de ce sujet à discuter le lendemain. Et d'un commun accord, ils décidèrent au bout d'une semaine de rude recherche d'envoyer le Petit Bûcheron Rouge en forêt pour rendre visite à une mère-grand jusqu'alors inconnue. Son père le guiderait jusqu'au milieu du bois, puis l'abandonnerait. Voilà ce qui avait été décidé.

Ainsi, le père guida le Petit Bûcheron Rouge au milieu du bois, sous-prétexte de visiter une mère-grand par alliance au second degré. Les détails de la visite n'intéressaient guère le Petit Bûcheron Rouge. Tout ce qui lui importait était d'avoir avec lui sa jolie tronçonneuse rouge. Au bout de deux heures de marche, le père, fier patriote de son village, profita d'un moment d'inattention de son fils pour le laisser perdu dans la forêt. Il revint en courant au village pour prévenir les Sages, et chercher une certaine somme durement gagné. Un fils, ça n'a pas de prix.

Après une heure d'attention envers le débridage qu'il avait effectué la veille sur sa jolie tronçonneuse rouge, le Petit Bûcheron Rouge ne se dit rien. Pour tout dire, le Petit Bûcheron Rouge ne se disait jamais rien. Il ne pensait que pour et par sa jolie tronçonneuse rouge. C'est dire combien il pensait peu. Et il le vivait bien.

Soudain, un loup qui passait par là se jeta devant le Petit Bûcheron Rouge, dans l'espoir de remplir son estomac. Cela faisait bien une semaine qu'il n'avait pas manger, et en ces temps de famine, on n'hésite pas devant un enfant.

Le moteur de la jolie tronçonneuse rouge du Petit Bûcheron Rouge eut à peine le temps de rugir, que déjà le loup voyait son estomac séparé de son corps. Puis il ne vit plus rien. Le Petit Bûcheron Rouge fut content d'avoir pu tester son nouveau débridage sur un animal vivant. Il avait tout le long du chemin coupé des arbres, mais cela restait de la verdure. Un animal, ça c'était du solide ! Et la conclusion était bonne. Heureux, le Petit Bûcheron Rouge rentra chez lui, en suivant les troncs d'arbres qui jonchaient le sol.


Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Lundi 17 octobre 2011 à 23:59

 L'enfer.

Là, en ce moment même, je suis devant l'Enfer. J'attends.

Ici, je peux attendre sans peur d'être abordé par quelques ombres noires qui ne cesse de demander si on peut enfumer leur gueule de nuages gris cendrés. C'est agréable. Les ombres sont si oppressantes, parfois.

Je sais qu'ici, ces affreuses bêtes à poil, montrant à tous et sans honte, leurs attributs les plus intimes, se font moins fréquentes. Et il y a ainsi moins de risque de voir ses pieds recouverts de boules, ô combien odorantes, balancées par ces ignobles bestioles. Marcher avec ça sur les godasses, ça fait pas sérieux. Les gens mettent une distance entre vous et eux, quand ils voient ça.

De ce côté, vers l'entrée de l'Enfer, on peut tout de même voir un bout de ciel, et ça fait du bien. Même s'il est souvent grisâtre, je ne me plains pas. Quand j'attends, un bout de plafond céleste me convient très bien, ça donne un espoir pour le lendemain. Malheureusement, de nuit comme de jour, on ne voit pas les brillants habitants de cet endroit. J'ai appris qu'ils étaient pourtant nombreux.

Je ne sais pas à quoi ressemble l'intérieur de l'Enfer. Pour cela il faut entrer dans la bouche du Diable. Et jamais encore je n'ai fait ce premier pas. Pas que j'ai spécialement peur.  Disons plutôt que j'ai toujours eu à attendre devant, et que je n'ai jamais eu rendez-vous à l'intérieur. Un jour peut-être j'irai, mais ça ne me tente pas plus que ça, étant donné que l'Enfer a plutôt l'air endroit délabré et même de débauche.

Devant l'Enfer, je regarde les murs. Il y a toujours une tonne d'affiches de publicité. Elles envahissent le premier mur et semblent avoir été là avant l'existence du lieu. Je sais que c'est impossible. Les voisins de l'Enfer, ceux qui en parlent encore, racontent qu'ils l'ont toujours connu là, et qu'ils le verront encore à leur mort. C'est devenu une légende populaire, je crois. Moi j'attends devant avec bonne humeur, souvent, parce que c'est toujours drôle de regarder les anciennes affiches.

Mais bon, l'Enfer, parfois, ce n'est pas agréable. La façade, j'entends, parce que l'intérieur, j'y connais rien. Mais je sais que malgré le peu d'ombres filantes et les rares bestioles qui passent devant, il y a des petits hommes peu fréquentables. Ils tremblent et agissent de manière brusque, sans rien dire. Déjà ce n'est pas ce qu'il y a de plus sympa, mais en plus ils attirent d'autres congénères vers eux. Discrètement, sans bruits, ils se saluent, s'échangent des babioles, et repartent. C'est rapide, mais intense.

Je n'dirais pas, qu'ici, devant l'Enfer, il y a des flammes. C'est pas souvent. Voire même très rare. Je crois qu'il y a déjà eu, une fois, un diablotin du feu qui était en mission, mais c'est tout. De toute manière, il y a une maison d'êtres rouges à crêtes à deux pas. Ils s'exercent à courir par ici. Je les vois passer le couloir de pierre à toute vitesse pour voir qui sera le premier contre la borne rouge d'arrivée. Mais je ne pense pas que ça leur soit vraiment utile, étant donné que les flammes n'arrivent pas jusqu'ici, devant l'Enfer.

À l'exact endroit où je suis, on peut voir parfois des gnomes s'injurier, se sauter dessus, balancer ça et là des choses que je ne reconnais pas. Ils sortent des grilles d'où on les retenait. J'ai déjà dépassé ces grilles, et j'espère sincèrement ne plus avoir à le refaire. Il n'y a que des gnomes comme ceux que j'ai décrit, et parfois en pire. Ils s'agitent dans tous les sens dans un brouhaha infernal. Ils s'approche et hop ! tu en a un sur chaque bras et un sur le dos. C'est effrayant. Je ne veux plus jamais retourner dans cet endroit, peu importe le prix.

Là, en ce moment même, je suis devant l'Enfer. Et j'attends. J'attends souvent. Tous les jours, tous les soirs, jusqu'à ce qu'on vienne me prendre et me ramener chez moi. On vient toujours me chercher. Parfois je me cache, pour rester observer l'entrée de l'Enfer, pour regarder impressionné la gueule béante du Diable. Et on vient me chercher, mais plus tard, bien plus tard. D'autres fois je ne me sens pas le courage, je regarde le ciel, et j'attends avec plus de hâte. Mais toujours, sans aucune autre possibilité, on vient me chercher et on me ramène chez moi.

D'ailleurs j'entends le bruit déglingué de la machine humaine. Elle ramasse ceux qui comme moi attendent devant l'Enfer, sans jamais y entrer. On n'est pas nombreux à attendre. Un, deux. Rarement quatre. Mais dès qu'on rentre dans la machine, on se sent serré, écrasé, comme si les parois se refermer sur soi. Chaque jour, chaque soir, j'espère que l'homme qui fait cracher les poumons de la machine ne m'emmènera pas au diable vauvert. C'est si effrayant de penser à un endroit inconnu dont jamais on ne revient. Mais pas de risque, j'imagine. Jusqu'à présent, je suis toujours vivant, et on vient toujours me chercher pour me ramener chez moi…

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Lundi 26 septembre 2011 à 0:42

Moi, un rien m'effraie. La nuit, les serpents, le noir, les araignées, l'orage, les abeilles, le réchauffement climatique, les étrangers... Tout ! Un jour, tellement angoissé par l'arrivée intempestive d'un canard dans ma baignoire que je resta bien dix minutes calfeutré dans l'eau à ne plus savoir que faire. Oui, je sais, vous avez une solution à tout, une réponse pour chaque chose et paf, le canard, il vous fait pas peur. Mais là, il était quand même jaune, le canard ! Ça ajoute au côté terrifiant, tout de même !

Bon, et là je suis dehors, il fait froid, il fait nuit, je suis dans un lac, habillé, entouré de cygnes et d'oies. Mais bon sang, pourquoi je suis là ? Je sais plus. Mais j'ai peur. En plus je viens de me souvenir que je ne sais pas nager. Ben merde alors. Je suis en train de crever. De toute façon, même si je savais nager, j'aurais pas pu. À l'instant, je vois que mes pieds sont attachés par une corde. Et qui elle-même est reliée à une enclume. Je sais que c'est une enclume parce que j'ai eu une phobie des enclumes un moment. Et là elle est de beau calibre. Pas moins de 400 kilos. Le genre d'outil qui m'aurait donné une crise cardiaque, si je n'avais pas soigné ma paranoïa des enclumes.

Franchement, si quelqu'un pouvait m'aider, ce serait génial. Évidemment, à tous les coups, y a que des sadiques dans l'assemblée. Ah, j'commence à manquer d'air. Génial. Merci tout le monde. En plus c'est mes supers chaussettes toutes neuves que j'ai acheté avant-hier ! Jamais elles pourront être réutilisées, après ça ! C'est comme la dernière fois que ça m'est arrivé. J'avais un slip kangourou neuf de la veille. Ça a pas raté, il était plein de boue.

Hé, comment j'avais fait la dernière fois ? J'sais plus. Mouais. C'était peut-être ce canard...

Merde. Y a que des cygnes et des oies, là.

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Mercredi 17 août 2011 à 0:36

Juste des mots sur le papier. Juste de l'encre sur le sol. A peine du noir sur du blanc. Le vide envahit par du vide. Juste des lettres sur du vide. Des lettres dans du vide. Vide de.

Les gens avancent, sans regarder devant. Il ne regarde plus. Avant oui, ils observaient, ils avaient peur, ils voyaient qu'ils allaient souffrir jusqu'à en mourir. Ils ont appris à ne plus voir. Ils ont oublié. Ils pensent que ça leur fait du bien. Ils pensent plus. Ils savent pas. Ont-ils jamais su ? Peuvent-ils comprendre que ne plus regarder, ne plus avoir peur, c'est la mort. Ils ne regardent plus pour ne plus penser à la mort, pour ne plus penser à pire, la douleur. Ils souffrent quand même. Mais ils souffrent seulement quand ils entrent dans l'antre. Avant, ils pensaient à chaque instant à l'antre, et souffraient intérieurement. Maintenant, ils ne pensent plus et souffrent seulement physiquement. On les tuent physiquement, peu à peu. Ils sont déjà mort dans leur tête. On massacre des cadavres ambulants.

L'enfer c'est quand tu regardes tout droit alors que tout est derrière.

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Lundi 9 mai 2011 à 21:06

[Pour parodier Hugo : "L'achée était dans la tombe"]

 
 Il était certes tard, mais le ciel n'affichait toujours pas d'étoiles. Et il n'en afficherait sans doute plus jamais. Pourtant un homme, dont les idées n'étaient plus que fables et utopies, y croyait encore à ces lumières. Malgré le fait que la pollution avait désormais rendu invisible les astres de l'infini, cet homme imaginait toujours possible le fait de désintoxiquer la Terre de tous ses vices, déchets, pesticides et autres formes de pollutions existantes. Lui, Caïn Zuiver, avait mis au point un plan pour pouvoir enfin entraver le plus gros pollueur de cette minuscule planète affreusement sale. 

Pour accomplir son projet, il arriverait bientôt devant la société ITC, "In Terrae Cognitae". Trois mots issus d’un langage "de base", comme disait les plus anciens. Ceux-ci en donnaient un sens, non-vérifié par les actuels professionnels des langues anciennes (qui n’en connaissait d’ailleurs pas le dialecte), signifiant "En Terres Connues". Il est vrai qu'en 2112, Blaise Gebied avait amplement démontré, et avec succès, que les deux seules choses restantes à découvrir était l'univers et l'immatériel. Après la TGS, Troisième Grande Saignée, on avait plus cherché à comprendre le pourquoi de la vie, et on y avait donné une raison mystique et divine. Dieu avait fait l'homme, l'homme avait fait le reste. 

Dans la rue, il n'y avait plus de trottoirs. Plus personne ne marchait dehors de nos jours. L'obésité, la maladie, la fatigue, la pollution. Ces facteurs en étaient la cause. La commercialisation du "Riverolt" avait révolutionné la vie de millions de personnes : une sphère flottante grâce à un coussin d'air et un moteur à répulsion. Conçu par ITC, acheté par tous. Ou presque : quelques piteux étrangers détruisaient l’économie financière du Gouvernement, sous prétexte qu'il n'arrivaient pas à rassembler la misérable somme de cet engin plus que pratique. Il consommait d'ailleurs à peine moins que les antiques avion-cargos des premiers âges, un rien qui contribuait à la publicité commerciale. 

Sur les murs que croisait Caïn, il restait encore quelques affiches pour le parti politique LEF. Lors de l'élection du Gouverneur, le mois précédent, le LEF (signifiant Liberté Égalité Fraternité, dont le sens exact de ces termes restait encore mal défini) avait présenté un candidat. Et, loin de se croire tout permis, les LEFistes avaient osé désigner un de ces hommes de couleur comme prétendant ! Un de ceux qui ne s'étaient pas enfuis parmi les quelques arbres du bois d'Amazonie, un survivant de la TGS. Il n'avait eu qu'une minorité de voix, fort heureusement pour les politiciens qui faisaient régner l’ordre dans ce pays. Ces derniers n'avaient eu qu'à lever le petit doigt pour que leurs hommes de main convainquent les plébéiens de voter pour eux, puis payent les aristocrates pour la même chose. Voilà, c'était donc ça les dernières feuilles qui existaient encore. Les billets de monnaie. Verts comme les arbres et aussi rares dans la bourse d'un prolétaire que de poissons dans l'eau, c'est-à-dire très peu.

Depuis longtemps, les arbres valaient autant que plusieurs milliers de billets. Étrangement, leur rareté sur Terre ne suscitait plus un grand succès. A part quelques fanatiques de la nature, fort peu pris au sérieux, personne n'y faisait attention. Étant donné que les seuls acheteurs de papier d’origine végétale étaient des bourgeois (qui savaient, disait-on, rester modestes), ces arbres ne rapportaient pas beaucoup d’argent. Les matières synthétiques coûtaient moins cher et se créaient en plus grande quantité.

Une douce lumière rouge libéra Caïn de ses pensées. Assez de regrets. Il fallait passer à l'acte. Devant lui se trouvait son ennemi : ITC. Trois robot-gardes à l'entrée principale, et cinq caméras de surveillance. Caïn avança tout de même, déterminé à accomplir sa destinée, près à mourir pour cela. Il prit le plus de délicatesses possibles pour ne pas marcher dans le projeté-laser du premier robot, puis des deux autres machines. Aucun de ces engins n’avaient eu la chance de le voir. Il n’y avait malgré tout rien à faire contre les caméras, elles le filmeraient. Il n’existait aucun autre moyen pour entrer.

Arrivé devant la porte, Caïn sortit de sa poche une clef qu'il introduisit dans la serrure. Un déclic se fit entendre, et il entra. Les premiers obstacles étaient passés. C'était aussi les plus faciles. Il y avait à présent six veilleurs de nuits, trois chiens, quatre salles à capteurs sensibles et huit anciens pièges à loup. Bien sûr, comme dans toute entreprise qui se respecte, il existait un couloir dissimulé qui menait directement au bureau du directeur, au cas où des ouvriers se rebelleraient. 

"Si je me souviens bien, pensa Caïn, c'est par ici." Il tâta tout un pan de mur et sentit enfin une encoche. Une porte s'ouvrit. Un couloir ténébreux apparaissait. Caïn eut un mouvement d'hésitation, puis avança. Il y avait un silence de mort. Cet arrêt du ronronnement de la VAM, ventilation automatique mondiale, n'était pas normal. Mais une autre chose l'était encore moins : cette étrange odeur de somnifère. "Il n'a tout de même pas osé me faire ça ?" Le noir envahit l'esprit de Caïn, qui finit son raisonnement dans le domaine de Morphée. 

"Alors Caïn, on traîne encore par ici ?" Une voix venait de mentionner son nom. Avant d'ouvrir les yeux, Caïn leva les bras, et n'en fit finalement rien car une corde lui liait les mains. "On ne dit plus bonjour, Caïn ?" Cette voix, qui résonnait au fond de son crâne, contenait en elle une sonorité ironique du plus haut degré. "Pourquoi, tenta-t-il sans grand succès de protester, te dirais-je bonjour, alors que la Lune brille si sombrement ce soir ?" Silence. Après cette lamentable réponse, Caïn ouvrit les yeux. Il savait où il se trouvait et en face de qui. 

La rue du Chagrin n'avait pas toujours eu le sens de son nom. Particulièrement au numéro 36. Trente ans auparavant habitait là une famille qui semblait avoir tout pour être heureuse. Mais actuellement, elle méritait véritablement son appellation. Adossé à un poteau, les mains liées, un couteau le menaçant, Caïn re-découvrait le champ de son enfance. Autour du petit jardin calciné, il ne restait que des ruines. Toute la rue n'était que débris.

"Tu n'as pas honte de revenir ici, dit le prisonnier, avec un couteau et de sombres intentions ?
- Qui de nous deux a les plus mauvais desseins ? Celui qui sauve sa vie et celle de l'humanité ou celui qui veut me tuer pour voir la race humaine tomber dans le chaos ? 
- Pardon ?" 

Sauver l'humanité ? Lui ? Le Directeur Général de ITC ? L'homme qui pollue pour son travail plus que l'ensemble du monde, aider et sauver l'humanité ? 
 
"Tu t'es cru malin avec ton idée de meurtre ? Tu pensais que si je mourais, tout irait mieux. Évidemment, tu as toujours été égoïste, Caïn. Ce serait ta passion pour tes stupides betteraves rouges qui te pousse à faire tout ça ? Celles que mes usines produisent chaque jour ne te conviennent dont pas ?
- Ce ne sont pas des betteraves ! Juste des additifs chimiques mélangés à des produits cancérigènes, le tout sur un bâtonnet. C'est avec ça que tu veux sauver la race humaine ? 
- Exactement. Sans moi et mes produits, en quatre mois, deux semaines et trois jours, la moitié de la planète courrait à sa fin ! Sans mes betteraves cancérigènes, sans mes crêpes à l'amidon ou mon maïs cloné, il n'y aurait plus rien à manger pour les hommes. Sans mes motos d'appartements, mes télés jetables ou mon réseau différé mondial du Net, ce serait une dépression mondiale. Pire ! Sans les armes et la drogue que je vends officieusement aux différents états, se serait l'anarchie la plus totale et la fin du monde." 

Caïn restait dubitatif. Il préférait les OGM au clonage des peu de végétaux restants. Au moins le produit était naturel, au départ... "J’accepte de te libérer, dit le patron d'ITC en empoignant de plus belle le couteau, si tu me promets de ne rien faire pendant que j’appellerai la police." Il prit son couteau et coupa la corde. Caïn se leva, et, d'un geste, prit l'arme. Il respirait à grand souffle, tout en regardant l'air effrayé de son sauveur, puis lui enfonça la lame dans la poitrine. Il le regarda tomber à terre, écrasant une germe de fleur.

"Abel..." Caïn ne regrettait pas son geste. Il venait enfin d’accomplir sa tâche ! Une folie lui prit, et lui fit faire des bonds autour du cadavre de cet homme prénommé Abel. Puis, après avoir enfin ressentit toute l’émotion que lui procurait la mort de son semblable, il eut des remords. La nature méritait-elle qu’on tue pour la sauver ? Fallait-il du sang rouge pour faire naître des feuilles vertes ? Caïn regarda le macchabée, celui-là même qui avait, autrefois, été son propre frère. Et pourquoi était-il là, celui-ci, allongé, immobile, inerte ? Pour des betteraves rouges, que sa grand-mère lui avait fait goûter trente ans plus tôt, à cet endroit même.

Il n’osa pas observer le ciel. Il savait que son acte n’était que de l’égoïsme, mais ne voulait pas le reconnaître. Peu à peu, le responsable de ce fratricide sentit une chose gluante qui le tirer dans la terre. Il vit de ses yeux des vers, des millions de vers qui l’entraînaient dans le néant. Son imagination l’emporta et sa folie le tua. L’homme est poussière et il retournera poussière.
 

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