Mondes-Perdus.Malade-Palpitant

Putain de bulle à toi aussi...

Lundi 20 décembre 2010 à 14:52

La mort peut se voir différemment.
Pour l'homme des pompes funèbre,
C'est une richesse.
Pour les parents et les amis,
C'est une pauvreté.
Pour l'assassin et ses complices,
C'est une célébrité.
Pour la victime,
Ce n'est plus rien…

 

Non, je ne veux pas quitter cette fenêtre. C'est de là que j'ai vu ce qui s'est passé, et c'est de là que je verrais qui l'a fait. "Le criminel revient toujours sur les lieux du crime" dit-on. Par remords, inconsciemment, ou pour redécouvrir l'endroit où il a connu la saveur de son crime… Je n'en sais rien. Les trois en même temps, pourquoi pas. Qu'importe ! Pour une fois, je veux bien croire à une expression populaire. J'attendrai des années, peut-être jusqu'à ma mort… Je veux le voir. Et quand je le verrai, je le reconnaîtrais. Je ne l'ai jamais vu, mais ma rage, elle, le reconnaîtra !

 

Cela dure depuis trois ans. Trois ans d'attente. Trois ans de douleurs, trois mois de rage. Trois ans de peine, le reste de fureur. Trois misérables années de souffrances à sentir un vide continuel à mes côté, et le temps qu'il me reste à vivre pour entretenir cette folie meurtrière qui ravage mon cœur. Bref, trois ans de deuil.

 

J'ai vu passer des petites vieilles qui boitaient à cause de leurs cabas trop pleins. On achète plus quand on est vieux. A-t-on peur de manquer de tout parce qu'on est proche de la fin ? Maria n'était pas vieille. Elle était jeune, et avait toute la vigueur de la jeunesse ! Elle aimait flâner dehors quand le soleil venait frapper à sa fenêtre. Elle aimait aussi danser sous la pluie, le soir, sur les dalles inégales de la place Larrieu. J'ai vu passer des jeunes, aussi, qui traînaient les pieds pour aller je ne sais où pour faire je ne sais quoi. D'autres avaient plus d'entrain, et couraient de toutes leurs forces. Pas de juste milieu pour profiter de la vie, ils y vont sans envie ou trop vite pour profiter de ce qu'il y a autour. Je crois qu'ils ne s'intéressent qu'à la forme, sans chercher à trouver le fond. Mais pourtant, c'est le fond qui est important, la forme change constamment !

 

Le fond de ma souffrance est pur. Il est ma vérité. La forme de ma souffrance est la vengeance. Et je crois qu'il ne changera plus non plus. Même une fois que je l'aurai retrouvé et… et fait ce que j'ai à faire, je crois que ce ne sera pas assez. La mort ne suffit pas pour venger une autre mort. Je veux le poursuivre après la mort pour lui faire payer son crime. Je ne suis pas croyant, mais j'espère que la douleur existe en enfer.

 

Ah… Maria… Je te revoie faire oui-oui de la tête, juste avant mon départ. "Prends garde à toi. Je ne voudrais pas perdre ma fiancée parce qu'elle est insouciante. – Oui oui, ne t'en fais pas, et reviens vite !" Tu parles. Même pas le temps de revenir que tu étais parti. A cause d'un autre. On m'a dit que ce jour là, il faisait un soleil de plomb. D'habitude il pleut, non ? Dans les films, il pleut toujours dans ces moments-là. Mais là, il faisait chaud, et tu devais rire en dansant sur les pavés. Maintenant tu danses sur le feu.

 

Mais je le retrouverai. Ne t'en fais pas.

__________

 

Cela fait trois ans que j'y pense constamment. J'ai tué une femme. Juste là, dans la rue. Qu'est-ce qu'il m'a pris ? Une envie. Elle était radieuse. Et belle. Trop. Point, rien d'autre à dire. Elle était heureuse, je ne l'étais pas. J'ai voulu lui prendre son secret. Elle ne me l'a pas donné. Dommage.

 

Depuis je reste dans cette ville. J'espère peut-être expier mon crime ? Non, je ne crois pas. L'injustice porte ce monde, pourquoi n'en profiterais-je pas ? Personne ne m'a vu, j'ai eu ma chance, je l'ai prise. Rien à ajouter. C'est la vie. Certain se dope, d'autre vole, moi j'ai tué. Eux continuent, moi non.

 

J'ai trouvé un logement dans un immeuble, près de l'endroit de mon acte. J'avais envie de revoir la scène. Comme au théâtre. Tenter de comprendre pourquoi est-ce qu'elle était heureuse. Je me souviens de chacun de ses gestes. Lent, puis rapide, pas sur le côté, tour sur elle-même, s'arrête, se retourne, sourit, regarde, saigne. Fini. Et pourtant, elle souriait encore. Elle riait presque, comme si elle n'y croyait pas.

 

J'ai déjà pensé à ça. Le bonheur : ne pas y croire. Mais non, j'ai essayé, ce n'est pas ça. Elle avait les yeux fermées. Elle rêvait. Les rêves non plus ne sont pas la cause du bonheur. J'en ai eu pleins des rêves. Ils m'ont rendu plus tristes que je ne l'étais. Je ne pouvais jamais les réaliser. Je rêve d'être heureux. C'est bien la preuve que le rêve n'amène pas le bonheur.

 

Je passe souvent dans cette rue. Il faisait chaud. Elle était pieds nues. Il fait encore chaud. J'ai essayé de marcher pieds nus aussi. J'ai eu les pieds brûlés. Les dalles étaient trop chaudes. Avoir mal ne rend pas heureux. Qu'avait-elle donc de plus ?

 

C'était une femme. C'est peut-être spécifique aux femmes. Être heureuse. Les hommes doivent rêver, les femmes être heureuses. Je le disais. La vie est injuste. La mort nous rend égaux. Mais elle était joyeuse d'être en vie. Ce n'est pas la mort qui rend heureux. L'égalité ne doit pas rendre heureux non plus, dans ce cas.

 

Je comprendrai peut-être un jour. Qui sait ?

__________

 

Et oui, trois ans. Ils regardent tous deux la même place où cette dame est morte il y a trois ans. Je m'en souviens bien, malgré mon âge. Même si la veille femme que je suis a oublié certains détails.

 

La jeune femme marchait dans la rue. C'était une voisine à moi. L'appartement d'en face. Je crois qu'elle profitait du soleil. Il devait faire chaud parce que j'étais resté dans mon salon au lieu d'aller faire mes courses. Je regardais par la fenêtre cette femme qui marchait. Ou peut-être dansait-elle ? Je ne sais plus très bien. Mais elle semblait jeune. Tout juste la vingtaine, je pense. Elle ressemblait un peu à la petite-fille de ma voisine, en plus jolie. C'est drôle, je crois qu'elle me rafraîchissait un peu, en tournant comme elle le faisait. Oui, elle tournait sur elle-même. Elle devait danser.

 

Puis l'homme est arrivé. Il l'observait attentivement. Il s'est même arrêté pour la regarder. Et elle, ça l'amusait je pense. Ils se connaissaient peut-être. Mais moi je n'y crois pas. Elle continuait de tourner en rond. Elle continue. Ça m'a parut durer une éternité. Même aujourd'hui, j'ai l'impression de la voir encore tourner. Comme une toupie, qu'elle était. Mais elle a fini par s'arrêter. Dos à l'homme, parce qu'il s'est approché pour mettre sa main sur son épaule, et qu'elle a tourné la tête. Elle avait les yeux fermés, ça j'en suis certaine. Elle souriait à l'inconnu. Mais il avait déjà enfoncé son couteau dans son corps.

 

J'ai poussé un cri et j'ai fermé les yeux pendant dix secondes. Quand j'ai regardé de nouveau, elle était allongé, le sang se répandait sur les dalles, formant un petit ruisseau rougeâtre. L'homme n'était plus là. D'autres personnes s'étaient précipités sur le corps inanimé.

 

J'ai été à son enterrement, je ne sais pas pourquoi. L'homme qui semblait le plus affecté, je l'avais déjà vu avec elle. Sûrement son mari. Non, elle était trop jeune et heureuse pour avoir vécue le mariage. Son fiancé, à la limite. Il ne pleurait pas, il rageait. Sa peine était une longue douleur intense et profonde. Cela se lisait sur son visage, et faisait peur. J'étais effrayée.

 

Et aujourd'hui, il est encore là, cet homme dont la fureur ne s'estompe pas. Toujours dans le même appartement, en face de chez moi. Je le vois à la fenêtre. Il regarde le même endroit, toujours. Il ne sort pas, il fait apporter les plats chez lui. J'ai dû mal à voir, mais son teint doit être blafard. Je le vois parfois dormir contre la vitre, mais il se réveille souvent en sursaut pour regarder la rue comme un fou.

 

Il cherche l'homme, celui qui l'a tuée. Et il le voit passer deux fois par jour devant sa fenêtre sans même savoir que c'est lui. Le meurtrier est aussi mon voisin. Il habite quelques étages plus bas. Je n'ai pas peur de lui, je sais qu'il ne s'en prendra pas à une vieille femme comme moi, cassée par les rides de l'âge. Il veut de la jeunesse, il veut quelque chose qu'il n'a pas et qu'il n'aura jamais, parce qu'il cherche trop loin devant une chose qui est dans son dos depuis longtemps. Il ne l'a même pas vue passer.

 

C'est sa vie.

 

C'est leur vie.


 

Danse sur le feu Maria by Noir Désir

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Mardi 12 octobre 2010 à 22:58

Elle était assise dans un bus, seule. Elle l'était vraiment à partir d'aujourd'hui. Son sac en faux cuir blanc à bandoulière coincé entre ses jambes et le dossier du siège suivant, elle fouilla à l'intérieur et en sortit un baladeur musique, ainsi que des oreillettes.

Ça y est, le bus redémarrait sa course lente à travers la ville. La première chanson débutait dans le creux de ses oreilles. Elle n'écoutait pas vraiment. Elle pensait à lui, et à tout ce qu'il avait apporté dans sa vie, en oubliant de les reprendre en partant. Il n'avait surtout pas pris le temps de le faire, le lâche ! C'était presque une fuite, un abandon. Ça l'était entièrement.

Cette musique là, c'était celle de la fête à Dominique, où ils s'étaient embrassés pour la première fois à cause d'un jeu. Un jeu stupide, un putain de jeu stupide. Il avait le goût sucré d'un bonbon à la fraise. Ensuite, ils...

Trop de souvenirs pour quelques notes. Elle passa à la chanson suivante.

Son visage était tendu. Ses yeux étaient prêts à se noyer dans tes torrents de larmes. Il fallait penser à quelque chose d'autre. Il le fallait, le fallait, le fallait... Mais tout convergeait irrémédiablement vers lui. Un touriste dans le bus avait à ses mains un appareil photo argentique, presque semblable à celui qu'il avait trouvé chez lui, en faisant un peu de rangement dans son grenier. Un après-midi photos à la plage, puis dans un bois, avait suivi. Les négatifs était encore dans son bureau. Elle les brûlerait, une fois chez elle, puis s'allongerait sur le lit pour mordre furieusement l'oreiller qui n'avait pour seul crime le fait d'avoir retenu l'odeur d'un parfum. Un parfum qu'elle lui avait offert pour son anniversaire.

Trop. C'en était vraiment trop. Il fallait que tout sorte, les pleurs, la rage, la haine, la jalousie, le supplice, l'amour, exhorter tout ce qu'il y avait de vivant en elle, hors d'elle.

Mais pas devant tout le monde. Le monde n'avait pas à subir les récoltes d'un amour mal semé. Elle appuya sur le bouton rouge d'arrêt. Le bus continua encore une centaine de mètres avant de s'arrêter à un abri bus. Elle sortit, avança lentement en attendant que les passagers sortis en même temps qu'elle s'éloignent suffisamment loin.

Un petit muret en pierres blanches fit office de banc public. Elle abaissa sa tête entre ses mains, et, enfin, pleura.

C'était si dur. Elle avait encore en tête tous les projets et les promesses qu'ils avaient fait ensemble. Pourquoi, alors que c'était lui qui avait rompu la plus importante d'entre elle, pourquoi était-ce elle qui souffrait ?

Sois forte, la vie est belle, dit-on, qu'il faut oublier, que c'est du passé, qu'on ne peut rien y faire, rien changer. Les gens ont un panel de phrases qui ne servent à rien au moment venu. La vie peut être moche, hideuse et repoussante. Elle l'était, en cet instant précis.

Elle renifla, les joues envahies de larmes. Des cheveux restaient collés à son visage trop humide. Elle devait être aussi laide que la vie.

Une main inconnu la prit doucement par l'épaule, tandis qu'une autre lui frottait tranquillement le bras. C'était un petit vieux, un sourire réconfortant aux lèvres et une larme de compassion à l'oeil.

"Pleure, c'est bien. Il faut pleurer. Mais pas uniquement. Je t'offre une boisson chaude, ça te dit ?"

Elle acquiesça fébrilement de la tête, sans rien dire. Elle ne se sentait pas la force de parler. Si elle avait essayé, un sanglot serait sortit à la place. Mais elle se sentait déjà un peu mieux. Un orage avait recouvert le ciel de ses dix-huit ans, mais elle sentait un petit rayon de soleil se battre pour pouvoir passer. Elle n'était plus seule.

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Lundi 2 août 2010 à 1:43

        Je regarde à l’horizon. Il n’y a rien. Rien, strictement rien, si ce n’est la vingtaine de maisons HLM qui dépassent du sol. Celles-ci, je ne les supporte plus. Elles ont chacune une vie différente, mais toutes semblables par leur ennui et leur vanité. Et c’est bien ça qui m’énerve. Celle d’à côté abrite un homme qui passe sa vie à réparer des voitures, en attendant qu’elles retombent en panne et les réparer encore, et le tout pour son plus grand plaisir. Celle d’en face est entourée d’un mur en bois qui l’empêche de ressentir le doux frisson du vent sur ses murs peu friables. Devant la porte de la maison voisine de celle d'en face se passe un marché de drogues… Plus loin encore, la gaieté de trouver un garage bien rangé est gâchée par les affaires de la grand-mère qui, n’ayant soudainement plus de place chez elle, demande un service à son si charmant beau-fils, lequel n’osera pas refuser de peur de tomber sous le courroux de sa belle et tendre moitié… Que des histoires que l'on retrouve partout, dans chaque logement HLM, dans chaque ville du pays. Que des histoires ennuyantes…

        En face de cette rue de maisons se trouve un cimetière. La nuit, lorsque le vent souffle vers l’est, des bruits en proviennent. Certains pensent chaque soir au jugement dernier, d’autres à de simples gamineries d’enfants… Pourtant j’ai entendu parler d’un homme qui avait vécu à côté de ce cimetière pendant une dizaine d’année, et narrait une histoire tout autre.

        Il disait, m'a t-on relaté, que dans le bourg, au XIXème siècle, habitait une vieille dame qui ne voulait pas mourir. Elle pensait en effet devoir rencontrer Dieu lors de son ultime heure, et étant une athée exemplaire, elle refusait tout contact avec Lui. Pour essayer de surpasser sa mort, elle trafiqua une petite pendule qui la réveillerait toutes les fois où ses yeux se fermeraient, en provoquant une musique à faire revenir d’entre les morts. Etrangement, elle n’avait pas pensé à son sommeil, et pendant une semaine entière, la pauvre vieille ne put dormir. Suite à quoi la Grande Faucheuse arriva avec ses cliques et ses claques, pour réveiller l’ancienne vivante. La vieillarde crut tout d’abord à une résurrection, mais se rendit vite compte que son réveil présent n’existait que pour un réveil sur la mort.

Refusant alors de partir avec la Camarade, la vieille dame creusa elle-même sa tombe, pour avoir la fierté de ne pas être emporter par la Mort. Son réveil dans la poche, elle plongea dans le vide et, sans qu'on sache comment, elle le reboucha. L’insoucieuse avait encore oublié sa machine musicale. C'est depuis ce jour que l'on entend d'étranges sons en provenance du cimetière.

L’histoire que racontait l’homme se termine là. Mais, non content de cette fin, plusieurs voix manifestèrent un besoin d’explication. En effet, comment l’appareil pourrait encore marcher après tant de temps, et comment sa musique peut-elle retentir encore, à travers tant de terre ? Ce à quoi répondait tout simplement, sans même prendre le temps de regarder les sceptiques, que son histoire n'en n'était qu'une, et que les bruits n'étaient simplement fait que par le vent qui faisait remuer les banches des arbres.

Cet homme est parti, bien avant que j’arrive ici. Et c’est pour cela que je regarde à l’horizon, cherchant avec un regard vide ce fabuleux affabulateur à la logique si simple qu’elle ne pouvait égaler celle d’un de nos physiciens les plus connus.

Je regarde donc à l’horizon, et je ne vois rien… Encore et toujours rien…

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Dimanche 7 février 2010 à 2:18

 

C'est une histoire sordide. Une histoire que vous n'entendrez pas tous les jours. Ça se passe sur un pont. Vous n'en connaissez pas beaucoup, des histoires qui se déroule sur un pont. Surtout sur le pont de Londres : le London Bridge. C'est la rencontre entre un chien solitaire et un homme riche. Et une rencontre de ce genre, vous n'en avez jamais entendu parler. Surtout quand le chien s'appelle Wyatt et l'homme Earp.

Eh bien, voilà. C'est fait. L'histoire est close… Lord Earp s'en était allé faire sa petite ballade habituelle au bord de la Tamise, côté Nord. Le soir tombait juste, et les lumières électriques apparaissaient en même temps que celles des étoiles, qu'il contemplait en pensant à quelques vers de poètes français ayant relater l'espoir qu'elles engrenaient dans l'âme humaine. Bien sûr, il ne pensait pas aux affamés qui ne peuvent se nourrir d'espoir, mais s'il avait été au courant, il ne les aurait sans doute pas oubliés. C'était un brave homme, juste riche, ayant reçu une éducation destinée à des gens de la "Haute Société", qui ne faisait plus que pâle figure à l'heure d'aujourd'hui avec quelques actions en bourse. Il n'était pas un politique, ni un capitaliste. Juste un homme riche, de naissance.

Il passait donc à côté de la Tamise, et un vent froid, habituel, soufflait vers l'Est. Marchant jusqu'à la City of London School, une école publique pour garçon, il s'arrêta face à la rive sud du fleuve. Un petit objet l'intrigua. Petit, car il était vu de loin, sa véritable taille devait dépasser celle d'une voiture. Ce n'en était cependant pas une, ni rien d'extraordinairement bizarre, mais cela suscita en lui une envie subite de continuer son chemin vers cet objet. Il traversa donc le bras d'eau par le Millennium bridge, et accéléra la cadence, de peur que son petit intérêt pour l'objet s'envole en faveur d'une idée frivole. C'est pourtant ce qui se passa…

A l'angle d'une rue, il tourna sans raison, oubliant tout ce chemin fait pour un objet qui ne devait être qu'un container, après tout. Il marcha encore vingt bonnes minutes dans le dédale londonien avant de s'arrêter devant un magasin de vêtement de luxe du XIXème siècle. Une canne, posée délicatement sur un manteau à queue de pie, aux côtés d'un chapeau haut de forme. Earp adorait les cannes. C'était sa passion depuis sa plus tendre enfance. Il entra, et y resta jusqu'à la fermeture du magasin, à 10h30. Cette heure peut paraître légèrement tardive pour certains, mais cet établissement était assez spécial et acceptait qu'un client reste longtemps, juste pour contempler la parure des articles proposés. Lord Earp sortit donc en traînant des pieds, juste assez pour que cela ne se remarque pas. Comprenez : chez les personnes de son rang, traîner des pieds signifie perdre son honneur en se rabaissant aux humeurs de tout le monde. Il le fit donc très discrètement, presque juste dans sa tête.

La nuit était à présent totalement tombée, et les rues étaient encore noires de monde. Le Millennium Bridge était encombré de passants, et Earp, tout éduqué qu'il était à s'associer à la masse, ne supportait pas d'être bousculé. Il décida donc de passer par le London Bridge, moins utilisé à cette heure. Une fois arrivé devant l'énorme pont, il se dit qu'il avait tout de même souvent de bonnes idées. Le pont était vide. Que ce soit en individu ou en voiture, nul signe de vie. Juste, là, au milieu de l'édifice, un vieux chien hagard. Lord Earp s'avança jusqu'à lui. Un peu dégoûté par son aspect miteux, il avait pourtant appris qu'aider un chien été une des meilleures façons d'obtenir les faveurs de la foule. Les ménages aiment tellement savoir que des gens riches font preuve un peu d'humanité en caressant un chien mourant. Il n'y avait guère un quidam aux alentours, mais peut-être, ne savons-nous jamais, qu'un homme se déciderait à venir avec une caméra pour filmer cette scène émouvante, et la déposerait sur un site Internet, provoquant un"buzz" pro-aristocrate. Mais pour le moment, il fallait d'abord juger de l'état de la bête. S'abaissant sur l'animal, il l'observa.

C'était un chien bâtard à poil brun, mi-long. C'était un chien, tout ce qui paraissait de plus normal. Le type qui sent mauvais dès qu'il est mouillé, qui bave partout quand il a faim, qui remue la queue lorsqu'il est joyeux… Mais non, il n'était pas mouillé, il n'avait pas faim et il n'était pas joyeux. Rien de tout cela. Sa fourrure paraissait restreinte à une touffe sur le dos, le reste n'étant là que pour cacher la peau et les os. Car il était maigre. Extrêmement maigre… Et il n'avait pas faim, tout simplement car il ne la ressentait plus. La mort approchant, plus de vie, partant plus de joie. Les yeux à demi-vitreux du canidé étaient pendus au vide, cherchant peut-être un endroit calme, sans violence, sans douleur où les poser. Mais il n'en existait apparemment pas. La maigre bouche fermée, on pouvait s'apercevoir qu'il lui manquait quelques dents, dont les canines. Ses puces s'étaient enfuies, préférant un chien galleux à son corps atrophié par les épreuves de la vie. La misère du monde semblait être réunie en un seul corps. Ce chien, qui aurait dû être le meilleur ami de l'homme, lui montrait que les animaux aussi possède une vie. Une leçon de piété et de vanité pour un homme riche.

Lord Earp n'en put plus. Son visage était changé. Rien de bon ne pouvait plus exister, si un tel degré de malheur pouvait être. Plus jamais il ne pourrait se vanter d'une canne de renommé achetée pour quelques morceaux de pain à ses amis, tout en pensant à cet air désastreux. Et il ne pourrait pas arrêter d'y penser. L'émotion à la vue de ce chien lui était insupportable, il n'avait jamais encore vécu ça, et par tous les dieux, il ne voulait plus revivre ça.

Il rentra avec précipitation chez lui, enveloppa en vitesse un petit objet sombre, et revint vers le chien.

« Salut toi, Wyatt. C'est le nom que je t'offre, à jamais ! »

Il prit le revolver, tira sur le chien, puis sur sa propre tempe. Il avait pensé jusqu'à la fin que la misère devait disparaître.

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Lundi 9 mars 2009 à 0:53

L'un sans l'autre ne saurait être possible. Venez à moi, muses, et dirigez mes doigts vers les touches qui provoqueront une mélodie accessible au royaume des vivants, pour accompagnez les phrases dans la mort... Unique en son genre, multiple dans sa création, l'histoire est ainsi et ne changera plus. Il est écrit une fois pour toute, et les changements ne saurait être plus insultant que le passé ne peut revenir que sous une autre forme modernisée appelé futur. Ainsi est la voie de ma sagesse, s'il la sagesse existe en moi...


Les étoiles du ciel sont toujours plus belles vu du dessus..

00h53 indique mon réveil matin. Je suis posé à la fenêtre. Comme tous les soirs. Je regarde loin dans le noir, pour ne voir que la nuit qui recouvre une partie de la Terre. Dans ma chambre, le doux ronronnement de l’ordinateur surpasse le silence oppressant du vide. J’ai balancé toutes mes affaires de mon armoire il y a cinq minutes. Pour une bonne raison. Ce soir, c’en est fini de ma vie d’artiste soi-disant raté. Ce soir, c’en est fini de ma vie d’amour soi-disant à sens unique. Ce soir, c’en est fini de ma vie. Tout court.

Sur l’écran de mon ordi est affiché le fichier de mes raisons. Si on abaisse cette fenêtre, il y a un autre document qui explique ma vision de la vie. Je l’ai écrit non-stop en trois jours, sans manger et sans boire. Les seuls instants où je me laissais un moment de libre, c’était à minuit. J’aime voir les étoiles dans le ciel. Posé sur mon lit, les 148 pages de mon nouveau roman. Par-dessus, les 1379 autres pages qui constituent le premier chapitre de cette vision du monde, ma vision. Je ne sais pas si mon éditeur les lira, je sais juste qu’il publiera mon dernier roman. Le roman qu’il a lui-même demandé, en détaillant ce qu’il fallait précisément faire. Le roman que j’ai fini il y a trois ans, avant que je commence à écrire pour cet écrivain célèbre en tant que nègre. Mon roman qui fera grand bruit, non parce que le sujet est polémique (une femme qui fait la cuisine et qui vient d’être témoin d’un meurtre de son mari est loin d’être polémique), mais parce ce sera le roman d’un auteur qui vient de se suicider. Et rien que pour ça, le bouquin de mon inexpérience se vendra comme un petit pain qui vient de sortir du four… C’est la loi humaine.

Ma lettre de mort comporte un merci à la vie, qui a accepté de me donner une partie d’elle-même. Dans la même phrase, je précise que je lui rends son prêt, car les intérêts étaient trop élevés pour moi. Au paragraphe suivant, je demande à mes parents de retrouver Célia et de lui dire qu’elle était une femme que j’ai aimée. Peu après, je parle à la police qui lira ces mots. Je leur dis que c’est un suicide et qu’il faut mettre une amende car je vais tenter de tuer quelqu’un. Je ne sais pas si le meurtre d’un mort peut être une violation des droits de l’homme… C’est vrai que ce n’est pas très grave, les droits de l’homme, il y a très peu de types importants qui les respectent, et qui finissent très bien.

Je regarde encore une fois le ciel. J’aime voir les étoiles dans le ciel. Leur lueur me parle et me dit que l’espoir existe. Seulement il n’existe pas ici, sur Terre. Et s’il n’existe sur Terre, pourquoi y rester ? Mon prof de français me disait qu’à notre âge et jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, on croit encore à l’espoir. J’aurai vingt-cinq dans neuf jours, je crois que cet espoir est présent, mais ailleurs. Je ne veux pas perdre cette notion.

En vingt-quatre ans, j’ai vu pas mal de chose. De quoi en faire un livre. Pas de chance, ce livre existe déjà… Sous le nom d’un autre que moi… Je n’y peux rien. En onze mois et vingt et un jours, j’ai vu encore plus de chose, et des choses bien pires encore. Que puis-je y faire ? Un livre, un mémoire, une chanson, un poème… Moi je peux écrire, mal ou bien selon les gens. D’autres peuvent dessiner, d’autres sculpter et d’autres encore peuvent prendre des photos. Mais que peuvent faire le reste ? Ceux qui travaillent pour l’Etat, les fonctionnaires, et les commerçants ? Et que comprennent-ils de ce que nous faisons ? Que comprennent-ils de ce que je fais ?

Célia, douce et chère tendresse. Je repense à ton dernier baiser, directement suivi d’une gifle. J’avoue. Je suis un imbécile et le royaume de Dieu m’est ouvert. Mais je ne suis pas heureux. J’ai compris l’Homme. Je ne suis plus heureux. L’éternel ennui ou visite à l’Eternel ? Je ne choisis pas, j’anticipe. Entre la mort directe sur le pavé ou le supplice des hommes de mains de mon écrivain, je ne choisis pas. Je prends juste le chemin le plus court et le moins douloureux. Je suis un lâche. Nous sommes tous des lâches. C’est pour ça que je ne veux plus voir ces gens tout autour de moi.

La vie, la Vie… Dure à vivre. Dure à quitter. Je le fais sans détachement pourtant. J’allume une dernière fois ma radio. « Foule sentimentale » de Souchon. Ça tombe bien, ça résume à peu de chose près la société d’aujourd’hui… Rien à foutre des paroles de Souchon : c’est ce que pensent les trois quarts des français, et les neuf dixièmes du monde. Pourtant c’est pour la plupart leur vie.

On dit que l’opposé de la matière est l’antimatière, mais en réalité, ce devrait être le « rien ». Alors qu’est-ce que l’antimatière ? Toute chose possède son opposé. Mais en y regardant de plus près, n’y a-t-il pas deux sortes d’opposé ? L’accessible et l’inaccessible ? Et puis, l’univers lui-même, n’est-il pas inaccessible du fait que nous y vivons ? Ne devient-il pas accessible dès lors qu’il ne représente rien pour nous ? Tant de questions qui restent sans réponse. J’ai eu beau y réfléchir, y discuter avec des amis ou des philosophes, ne parlons pas des physiciens, personne n’a pu me répondre. Je vais donc essayer pour eux.

La radio passe d’une chanson à une autre, d’un tube qui devra faire un carton parce que le chanteur possède un charisme favorable à la vente, à une chanson à texte que seules quelques personnes décrypteront le sens caché. « A l’endroit à l’envers » de Noir Désir succède à « What The Fuck » d’un groupe qui restera à l’écoute pendant deux mois avant de disparaître subitement, à la vitesse où il est apparu. D’ailleurs Noir Désir a vendu plus d’album « à l’aide » de l’emprisonnement de Bertrand Cantat. Le crime d’un artiste : une renommée en plus, bonne ou mauvaise.

Voilà, j’ai parlé de moi, j’ai posé quelques questions, j’ai introduit deux chansons et j’ai expliqué le dessous du minimum des succès des artistes. Je vais pouvoir appeler un homme, au choix (ces imbéciles donnent exprès leur numéro à un certain M. Annuaire pour qu’on les harcèle et leur donne un cancer du cerveau) pour lui expliquer le malheur de sa vie. S’il s’en fout, je me jette par la fenêtre. S’il s’y intéresse et qu’il discute avec moi sur le sujet de son bonheur, je me jette à l’eau. Aplati à terre ou noyé dans la mer, je ne savais pas quoi choisir…

Je décroche le téléphone, appelle M. Pascal et attends. Le « tuut » se laisse résonner au fond de mon cœur, au rythme de ma respiration. Enfin, une voix répond en lançant un :
« Oui ?
-Bonjour monsieur Pascal. Je voudrais vous parler de vous.
-De moi ? dit la voix avec une once d’intéressement.
-Oui. Je veux vous parler de votre vie, plus précisément.
-C’est pour la télé ? s’empressa de demander la voix.
-Non, pour votre propre prise de conscience. De quoi est fait votre bonheur ?
-De votre silence ! Vous faites vraiment chier bordel ! Je bosse demain ! Pour un peu, je vous dénonce à la Police ! Putain ! »

Je raccroche. Merci, monsieur Pascal. L’homme est donc incorrigible et toujours le même… Ça tombe bien, c’est la preuve que le premier chapitre sur l’Homme est vrai. Mais qui y croira, dans ce cas ?

Ainsi, je vais me préparer au plongeon. Ça aussi, ça tombe bien. Je vais pouvoir regarder le ciel. J’aime voir les étoiles dans le ciel. J’ai choisi de tomber sur la route, rue Voltaire. En sautant de chez moi, au septième étage, la tête la première, je devrai avoir peu de chance de m’en sortir.

Et si je restais vivant ? Si la vie refusait que je parte si facilement, avec trop de conscience ? Si on m’amène à l’hôpital et qu’on me soigne ? Double confirmation de la bêtise humaine… Sauver les gens qui ne le veulent pas… Est-ce réellement une bêtise ? Je n’en sais rien… J’avoue.

Je m’assoie au bord de ma fenêtre. Je regarde au loin, le ciel. J’aime voir les étoiles dans le ciel. Je prends mon élan, concentré dans mon courage et mon espoir de l’espoir… Je saute.

Dans le ciel, tout est noir. La pollution a caché les étoiles du ciel depuis longtemps…

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

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