Mondes-Perdus.Malade-Palpitant

Putain de bulle à toi aussi...

Dimanche 4 mai 2014 à 14:47

Bonjour.

Bonjour.

Vous êtes ?

Oui.

Ah. Bah oui. C'est normal.

Oui.

Et…

Oui ?

Où sommes-nous ?

Un endroit sécurisé.

Sécurisé. Très bien. Un peu comme un commissariat.

Un peu comme un commissariat, en effet. Un peu.

Nous ne sommes pas dans un commissariat ?

Pas du tout.

C'est étrange, je ne vois rien de reconnaissable. On saisit le ciel d'un jet, mais il n'y a rien ni personne sur le plan horizontal. Nul morceau d'agitation, aucune particule de vent. Depuis quand suis-je ici ? Je ne m'en souviens pas. Et vous, depuis quand attendez-vous là ?

Je n'attends pas.

Que faites-vous, alors ?

Je surveille.

Ah bon. Parce que c'est dangereux ?

Pas tant que je suis là.

Eh ben. On dirait quasiment une cellule. 

Oui.

C'est une cellule ?

Oui.

C'est une cellule. Je suis dans une cellule. Je suis une masse de cellules en cellule. C'est nul. Je suis en prison ?

Une sorte de prison.

Mais pour quelle raison ?

La même que pour les autres que je surveille.

Je ne suis pas seul ?

Vous êtes ici seul.

Ah mais. Vous venez de dire que…

Oui.

Mais…

Oui.

Ah. Bon. Ah. Mais… Bon. Bien. Vais-je mourir ?

Cela ne dépend pas de moi.

Mais de qui ? Qui vous a fait minotaure de cet endroit ?

L'équilibre.

C'est rare. Une personne évasive censée éviter les évasions. Bravo.

Merci.

L'équilibre de quoi ? 

L'équilibre du partage.

Vous avez des restrictions, niveau vocabulaire ?

Non.

Le dialogue avec vous ne sert à rien. Je vais comprendre seul. Je suis ici à cause de l'équilibre du partage. Dans une cellule au ciel ouvert. Avec quelqu'un qui surveille. Qui surveille quoi ? Moi, de toute évidence. Il y a d'autres personnes, mais qui ne sont pas ici présentes. C'est donc qu'il y a différentes cellules, placées irrégulièrement. Mais la même personne qui surveille tout le monde. Je suis dans un endroit qui ne doit pas exister matériellement. Un peu comme un réseau de données numériques. Je dois pas être loin de la solution.

D'autres ont déjà compris.

Alors vous parlez parfois autrement que pour me répondre.

Oui.

C'est assez aléatoire, votre histoire.

On s'en plaint.

Qui, on ?

Vous, les surveillés.

Quelle notion de partage m'interdit d'être ailleurs ? 

Aucune.

Libérez-moi.

D'accord.

Vous allez me libérer ?

Vous venez d'en faire la demande.

C'est vrai. Mais je comptais avoir une explication plus poussée…

On n'a pas prévu ma présence ici pour ouvrir des fenêtres cassées. Ou vous partez, ou vous restez. Mais vous n'aurez plus de réponses en partant.

Un semblant d'humanité vient de vous toucher. Mais vous me mettez à mal. La liberté ou la connaissance. Le système binaire offre mes limites. Très bien. Suis-je ici à cause d'un partage que j'ai effectué ?

Oui.

Ceux qui restent ici meurent-ils ?

S'ils restent à jamais, oui.

Partagez-vous, vous-même ?

Oui.

Avez-vous été à ma place, plus tôt ?

Non.

Comment faîtes-vous pour rester ici, sans personne ?

Vous êtes là.

Pourquoi moi et pas un autre.

Je n'aime pas les pourquoi. L'aléatoire.

Vous ne considérez pas l'aléatoire comme injuste ?

Non.

Comment faites-vous ?

Rien n'est totalement aléatoire. Le cerveau humain sait ce que vous allez faire avant que vous n'ayez décidé de le faire. L'aléatoire est une information non-perceptible par la conscience. Jetez une pièce en l'air, on peut calculer sur quelle face elle va atterrir si on possède les données précises du lancer : hauteur de la position de départ, force du vent, force de la poussée, poids de la pièce, réception de la pièce, etc. Il y a mille et trois données à prendre en compte, mais il est possible de les associer pour savoir le résultat final. Mais quoiqu'il en soit, il n'y aura qu'un résultat. L'aléatoire est cette ignorance des données. Je ne peux dûment pas qualifier l'ignorance comme injuste. 

Moi je peux. C'est injuste que je sois ignorant. L'ignorance vous guette, vous-même. 

Prenez une pomme. Partagez-la avec quelqu'un. Vous en aurez moins que si vous aviez gardé la pomme tout seul. Prenez l'ignorance. Partagez-la avec quelqu'un. Vous serez deux ignorants au lieu d'un. 

Idem pour le savoir.

Exact. Le partage est inégal. 

Vous n'en finissez jamais.

Dans dix phrases.

Vous croyez vraiment ce que vous dites ? 

Je le dis.

Êtes-vous l'ignorance ou la pomme ?

Vous êtes l'engeance du millénaire.

Sans flemme ni partage, le millénaire ne serait plus rien. Sortez-moi d'ici. 

Je ne peux pas.

Vous ne voulez pas ?

Je ne peux plus.

Vous ne voulez pas ?

Vous êtes resté trop longtemps. Il faut payer.

Voici mes yeux, bien trop inutiles. Je les mangerai, s'ils ne suffisent pas.

Merci. Veuillez ne pas mourir pendant la consultation du dossier.

Pas d'inquiétude.

Votre partage a bien été payé. Soyez certain des intentions bienveillantes à votre égard.

Sûr. 

Exclusion dans trois secondes. Un…

Le temps d'un mot.

Deux…

Kapelstüt !

Fin du transfert.

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Vendredi 2 mai 2014 à 12:54

 Jefferson bouche les yeux. Le spectacle qui se trame à l'extérieur reste à l'extérieur. D'un soupir, le vent emporte les restes de sa voix et marche sur le cadavre de sa concentration. Idées légères, bien trop pour qu'elles s'élèvent d'un double demi-citron bouilli ramifié en veines vicinales. Jefferson bloque la vue. Le noir impérial s'immisce à la manière empiriste. Sans bloquer aucun nerf qui brûlerait vif à la simple pensée d'un abandon volontaire de la lumière. C'est invétéré même à son corps tubulaire épaissit. L'impuissance sonore l'accable. Le plus petit clapotis l'encense. Un chuchotement il croit. Un autre il espère. Mais faut pas se croire plus fort que le principe, il est seul. Jefferson barricade les orbites. Il embrasse la crainte première, avance tendrement les bras en tremblant. Une fine corde en lin bloque l'accès à la couche. Indéniable barrière qui le sépare du sommeil en tapisserie. C'est une bouche folâtrée qui le prend en revers pour le remercier d'avoir encore conscience. Il ne sait pas pourquoi. Il ne sait pas à qui sont ses lèvres. Jefferson bride l'éclairage. Apatride de son propre reflet il tâte d'une main rêche ce qu'il reconnaît être roche. Les pulpeuses membranes étaient donc de marbre. Il l'aurait su, s'il acceptait son dû apaisant. Soudain il ne tient plus en place, ses doigts sont colonisés de secousses poreuses, ses jambes chancèlent et ses pieds picotent de toute part. Les émotions le quittent une à une. Les sentiments se rassemblent en un seul. L'envie, quitte à laisser plus qu'une peau, de se recueillir de façon embryonnaire sur le plat réconfortant d'un duvet. Jefferson bâillonne l'horizon. Sa propre mâchoire se fout de sa gueule. Ça ne le grivoise même pas. Humeur pas rire. Une brève sensation de chaleur sur la cuisse suivie d'une couverture glaciale. Penser que savoir écrire est pratique, surtout en automne. L'été prend place autour. Dernière tentative. Jefferson brouille l'aspect. Une nuit factice et libératrice s'ajourne ailleurs pour commencer son emploi ici. Rien ne se promène plus loin que l'aube et déjà un arbre tombe.

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Mercredi 1er janvier 2014 à 2:36

 Jefferson regarde. Pas directement. Vers le ciel. Le myope, ringard, désespéré, alerte, arqué, oublié et saillant ciel. En face du soleil. À droite, rien ; à gauche, rien. Il traverse. Des bottes à côté des chevilles courbaturés, l'épine dorsale criant l'arrêt immédiat, le froid tonitruant prenant habitat de la cage thoracique, l'articulation crico-aryténoïdienne plus importante que jamais. Et effectivement, l'aiguille anté-stomacale prend raison sur la compréhension de l'extérieur. L'arrêt prend commencement et s'achève sans transition, d'un bloc, comme un caillou immobile. La douleur, si elle se nomme ainsi, n'a pas pris la peine de sonner. Elle logeait dans la pompe sanguinaire depuis un moment, c'est une habituée. C'est l'agrandissement de ce qui deviendra son palais de la réussite. Elle n'a pas peur du travail. Jefferson scrute. Comme attendant. Certes il attend, mais sans savoir ni ce qu'il attend ni ce qui l'attend. Il arrive que des animaux défient ce qui n'appartient plus à la nature, prennent de la vitesse et accélèrent tant qu'ils dépassent la forme vitale qu'ils appréciaient quelques minutes auparavant, la tête vide de réflexions, le nez en manque de corne, les corps spongieux en désintoxication, les muscles de mouvement en un point. Ainsi passe un moment d'excitation formidable dont ils n'auront aucune conscience. La conscience, c'est pour les bêtes. Jefferson observe. Des lumières l'appellent au loin. Est-ce pour lui ? Est-ce un hasard reflétant la luminescence de l'astre gazeux ? Deux fois. Autant aller voir. Alors il avance, chantonnant presque tout droit vers le miel de la route. Et une fois devant les appels, c'était un rien. Un rien sans vide. Jefferson contemple. Tout s'installe à son esprit. Il vit pour décrire, mais il ne cherche pas d'espoir. L'espoir lui vient s'il s'écarte de son chemin. Mais il n'a pas de chemin. Sans chemin, pas d'écart, pas d'espoir. Jefferson examine. Peut-être devrait-il créer son chemin. Tout seul, comme toujours. Peut-être n'a-t-il pas besoin d'espoir. Après tout, vivre ne requiert pas ça. Il ne désespère pas pour autant. Il est là autant que le reste. Il le veut.

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Mardi 16 avril 2013 à 23:12

 DEUX JEUNES GENS

- Puis-je lire votre roman ?

- Mais bien sûr.

- Il est bien.

- On m'a dit que oui. Quelqu'un.

- Alors je lui fais confiance.

- C'est trop.

- Peut-être, mais quand on veut aimer on ne compte pas.

- Non. Je n'aime pas la quantité, moi.

- Alors des boucles d'oreilles !

- Surtout pas, c'est horriblement onéreux.

- Mais comment vous avouer mon amour ?

- Avec un meurtre. Je suis mariée.

- À un homme ?

- Possible.

- Et je dois le tuer pour vous avoir près de moi ?

- Je pourais le quitter, mais je crois l'aimer encore. En le tuant je n'aurai plus de choix.

- Mais comment ? De dos, de face, à l'arbalète, aux poings, rapière, strangulation, noyade, meurtre déguisé, MST…

- Oh, je pense qu'il suffira d'un geste. Un seul geste. Sinon rien.

- Un geste ? Un unique geste ? Sans fioritures ?

- C'est ce que j'ai dit, un seul geste. Pour les fioritures… Peu importe.

Mondes Perdus

Divulgé par Aimepe

Lundi 15 avril 2013 à 19:40

 Le Falzar et le Méton.

 

- Falzar, raconte-moi ton existence.

- Je ne suis qu'un Falzar. Je ne peux t'assurer l'orgueil qu'un narrateur aura.

- Cela me convient parfaitement. Moi, Méton, je suis las de tout ça. Et rien ne saurait me faire plus plaisir qu'un Falzar sans orgueil.

- Dans ce cas je m'appliquerai à te décevoir. Mon existence commence dans les bas-fonds du coton. Un deux trois pluies d'hiver et le glaçage idem. Un aérobic survolant la frontière, Kardam buvant le thé sous la poussière des blés. Voilà tout ce que j'ai à te dire, Méton.

- Eh bien Falzar, quel dramaturgie ! Je veux savoir comment et pourquoi on est arrivés là.

- Méton, brave et très con Méton. Tu me rassures par tes questions sans fond. Et toi, qu'es-tu ?

- Tu le sais très bien.

- Raconte.

- Cela ne sert à rien.

- Raconte.

- Grrr.

- Raconte Méton. Ou pars.

- Je reste. Je suis astronome. Oui, Astronome. J'explore les quantités du vide pour venir à bout de l'ignorance humaine.

- Je ne suis pas humain, moi.

- Oui Falzar, je sais. L'ignorance humaine n'est pas pour toi. J'ai moi-même hésité un moment à être humain, connaissant tant de chose. Savais-tu que sans moi, il n'y aurait pas le cycle ?

- Je le sais. Je ne suis pas humain je te dis.

- J'oublie toujours.

- Ce que tu appelles l'ignorance humaine, c'est l'oubli humain. Seul l'humain se permet d'oublier. Sa mémoire n'en est pas une. Dès sa naissance, il sait tant de chose qu'il refuse de parler. Mais la nature est un appel et le cerveau oublie. 

- Tu ne sais pas ce que tu dis. Tu n'es qu'un Falzar, même pas le plus beau.

- La beauté, encore elle.

- Tu m'interromps. Où en étais-je ?

- Le cycle.

- Peu importe. Astronome je suis, mais pas pour tous. On m'a rejeté sans foi ni raison hors de cette sélective classe d'humains. La jalousie : j'avais repéré une si belle planète !

- La beauté, encore elle.

- Tais-toi. 

- Pardon pardon pardon.

- Suffit ! Fais demi-tour et va dire à ton maître qu'il faut te battre, puis revient.

- Je n'ai pas de maître. Mais je vais.

Il sort.

- Enfin. J'ai bien assez vécu pour n'être qu'abattu à cause de ce roi. Peut-être devrais-je le renverser, ou même le défier dans un duel d'épée en bois. Je ne risque pas la mort, et je peux gagner gros. Ah, je m'étonne parfois qu'on ne me hait pas plus par jalousie. Je suis bien supérieur aux autres, quoi qu'ils peuvent dire. (Il écoute.) Que ? On parle sans moi dire. Citation aucune. Référence zéro. Ah ! Cela suffit, je me dois de régler cette discussion.

Il sort à son tour.

Le Falzar revient.

- Méton ? Il est parti. Il a faim, cet humain. Il explosera. S'il feint l'explosion, il oubliera. Rien n'est pire, ni mieux. Occire ou se suffire. Méton, Méton. Qu'un Méton me revienne, que je le prévienne.

Le Méton ne revient pas.

- Je suis suffisant seul. Mais Méton est un ajout. Je peux me croire maître de…

Le Méton revient.

- Que dis-tu, Falzar ? Tu parles de moi ?

- Certes ?

- C'est bien. Très bien. Je suis dans les mots.

- Méton, qu'y fais-tu ?

- Je déplace des points importants. 

- C'est risqué.

- Je meurs.

Il meurt.

- Ainsi sois-tu.

Le Falzar sort.

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