Bonjour.
Bonjour.
Vous êtes ?
Oui.
Ah. Bah oui. C'est normal.
Oui.
Et…
Oui ?
Où sommes-nous ?
Un endroit sécurisé.
Sécurisé. Très bien. Un peu comme un commissariat.
Un peu comme un commissariat, en effet. Un peu.
Nous ne sommes pas dans un commissariat ?
Pas du tout.
C'est étrange, je ne vois rien de reconnaissable. On saisit le ciel d'un jet, mais il n'y a rien ni personne sur le plan horizontal. Nul morceau d'agitation, aucune particule de vent. Depuis quand suis-je ici ? Je ne m'en souviens pas. Et vous, depuis quand attendez-vous là ?
Je n'attends pas.
Que faites-vous, alors ?
Je surveille.
Ah bon. Parce que c'est dangereux ?
Pas tant que je suis là.
Eh ben. On dirait quasiment une cellule.
Oui.
C'est une cellule ?
Oui.
C'est une cellule. Je suis dans une cellule. Je suis une masse de cellules en cellule. C'est nul. Je suis en prison ?
Une sorte de prison.
Mais pour quelle raison ?
La même que pour les autres que je surveille.
Je ne suis pas seul ?
Vous êtes ici seul.
Ah mais. Vous venez de dire que…
Oui.
Mais…
Oui.
Ah. Bon. Ah. Mais… Bon. Bien. Vais-je mourir ?
Cela ne dépend pas de moi.
Mais de qui ? Qui vous a fait minotaure de cet endroit ?
L'équilibre.
C'est rare. Une personne évasive censée éviter les évasions. Bravo.
Merci.
L'équilibre de quoi ?
L'équilibre du partage.
Vous avez des restrictions, niveau vocabulaire ?
Non.
Le dialogue avec vous ne sert à rien. Je vais comprendre seul. Je suis ici à cause de l'équilibre du partage. Dans une cellule au ciel ouvert. Avec quelqu'un qui surveille. Qui surveille quoi ? Moi, de toute évidence. Il y a d'autres personnes, mais qui ne sont pas ici présentes. C'est donc qu'il y a différentes cellules, placées irrégulièrement. Mais la même personne qui surveille tout le monde. Je suis dans un endroit qui ne doit pas exister matériellement. Un peu comme un réseau de données numériques. Je dois pas être loin de la solution.
D'autres ont déjà compris.
Alors vous parlez parfois autrement que pour me répondre.
Oui.
C'est assez aléatoire, votre histoire.
On s'en plaint.
Qui, on ?
Vous, les surveillés.
Quelle notion de partage m'interdit d'être ailleurs ?
Aucune.
Libérez-moi.
D'accord.
Vous allez me libérer ?
Vous venez d'en faire la demande.
C'est vrai. Mais je comptais avoir une explication plus poussée…
On n'a pas prévu ma présence ici pour ouvrir des fenêtres cassées. Ou vous partez, ou vous restez. Mais vous n'aurez plus de réponses en partant.
Un semblant d'humanité vient de vous toucher. Mais vous me mettez à mal. La liberté ou la connaissance. Le système binaire offre mes limites. Très bien. Suis-je ici à cause d'un partage que j'ai effectué ?
Oui.
Ceux qui restent ici meurent-ils ?
S'ils restent à jamais, oui.
Partagez-vous, vous-même ?
Oui.
Avez-vous été à ma place, plus tôt ?
Non.
Comment faîtes-vous pour rester ici, sans personne ?
Vous êtes là.
Pourquoi moi et pas un autre.
Je n'aime pas les pourquoi. L'aléatoire.
Vous ne considérez pas l'aléatoire comme injuste ?
Non.
Comment faites-vous ?
Rien n'est totalement aléatoire. Le cerveau humain sait ce que vous allez faire avant que vous n'ayez décidé de le faire. L'aléatoire est une information non-perceptible par la conscience. Jetez une pièce en l'air, on peut calculer sur quelle face elle va atterrir si on possède les données précises du lancer : hauteur de la position de départ, force du vent, force de la poussée, poids de la pièce, réception de la pièce, etc. Il y a mille et trois données à prendre en compte, mais il est possible de les associer pour savoir le résultat final. Mais quoiqu'il en soit, il n'y aura qu'un résultat. L'aléatoire est cette ignorance des données. Je ne peux dûment pas qualifier l'ignorance comme injuste.
Moi je peux. C'est injuste que je sois ignorant. L'ignorance vous guette, vous-même.
Prenez une pomme. Partagez-la avec quelqu'un. Vous en aurez moins que si vous aviez gardé la pomme tout seul. Prenez l'ignorance. Partagez-la avec quelqu'un. Vous serez deux ignorants au lieu d'un.
Idem pour le savoir.
Exact. Le partage est inégal.
Vous n'en finissez jamais.
Dans dix phrases.
Vous croyez vraiment ce que vous dites ?
Je le dis.
Êtes-vous l'ignorance ou la pomme ?
Vous êtes l'engeance du millénaire.
Sans flemme ni partage, le millénaire ne serait plus rien. Sortez-moi d'ici.
Je ne peux pas.
Vous ne voulez pas ?
Je ne peux plus.
Vous ne voulez pas ?
Vous êtes resté trop longtemps. Il faut payer.
Voici mes yeux, bien trop inutiles. Je les mangerai, s'ils ne suffisent pas.
Merci. Veuillez ne pas mourir pendant la consultation du dossier.
Pas d'inquiétude.
Votre partage a bien été payé. Soyez certain des intentions bienveillantes à votre égard.
Sûr.
Exclusion dans trois secondes. Un…
Le temps d'un mot.
Deux…
Kapelstüt !
Fin du transfert.
Au fait, je te rends les lettres invisibles, leur absence me servait pour la blague et là elles m'embêtent plus qu'autre chose...