Mondes-Perdus.Malade-Palpitant

Putain de bulle à toi aussi...

Mardi 2 avril 2013 à 0:12

 Jefferson est éveillé. Il est rigide, regarde droit devant lui les yeux ouverts, sans savoir si c'est un rêve, mais ce n'en est pas un, pensant au dernier mot qu'il a prononcé - ce n'était même pas un mot, tout juste une syllabe, un son à peine descriptible par un appareil auditif - et allant toujours plus loin dans les souvenirs, se dit qu'il devrait faire comme un taureau et foncer quand il voit le drapeau s'agiter devant lui, sans regarder derrière, sans penser que quelques secondes avant on a tenté de lui faire du mal, simplement foncer et regarder devant, pour toucher ce fichu truc qui bouge dans ses yeux, et que oui, ce serait pas mal de faire le taureau, mais pour l'instant il se retourne simplement dans un sens et dans l'autre. Oui. Jefferson est allongé. Depuis un long moment déjà, et ça ne risque pas de s'arrêter s'il continue à se sentir plus à l'aise lové dans l'horizontal que porté par le sens de la pluie, bien qu'il ne pleuve plus depuis déjà toute une lune blanchâtre, qui tape contre le crâne pour demander une permission d'entrer et d'enfumer de son odeur toute la moisissure attaché à la cervelle saumon pâteuse, car toute pluie qu'elle est, elle n'est là que pour noyer le saumon. Sûrement. Jefferson est aqueux. Sans fondation pour soutenir la structure corporelle qui permet à son mât de contenir la barre, navigant entre deux terres, sans se poser sur aucune : l'une est privée, l'autre pas encore assez solide, alors il faut rester encore attendre devant, en laissant couler de la bave qui viendra nourrir le ruisseau et faire mourir toute trace de nourriture spirituelle - le spirituel n'est pas important mais sa mise en fonction peut provoquer des dommages aux poumons lorsqu'il est en coin. Jefferson est con. Il est couché mais avance sur un mot, puis un autre, même s'il ne les connait pas, simplement parce qu'il les a déjà vu, alors pourquoi ne pas les mettre ensemble tiens, ça a l'air d'être une bonne idée de tout rassembler dans une même case, celle du "déjà vu", à côté du "déjà-vu" et du "jamais su" en oubliant le "veux pas". Jefferson est avancé. Il n'arrive jamais à s'aliéner.

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Jeudi 24 janvier 2013 à 23:10

 Jefferson rame. Une flaque d'eau glacée jusqu'à la stèle l'entoure de partout comme une bobine de fil enserre le vide en son intérieur. Il y a un truc dans lequel il flotte, sûrement un ventricule vide où il réussit à se combler tout seul. Il y a un truc avec lequel il pagaie, sûrement une main qui n'a rien d'autre à tenir. Il y a du liquide sur lequel il est emprisonné, sûrement de la peinture rouge de cinéma qui goutte d'une cicatrice stellaire. Ça vient d'en haut. Encore des choses à dire, mais on ne laisse pas flotter qui veut. Alors se taire pour ne pas augmenter la quantité de mer fraise qui a l'effet d'un acide. Jefferson rame. Il est perdu il croit. Il sait où il est et où aller, mais il ne sait pas comment se diriger jusqu'à là. Se rendre de A à D, c'est pas possible. Rien à faire. Si en plus la cavité s'enfonce, il ne répond plus de rien. Mais même en tentant d'aller à gauche, le D n'est pas là. Alors à droite. Le D est absent. Rien à faire a-t-il dit. Si le D est silencieux, autant couler. Peut-être est-il au fond. Jefferson rame. Mourir pour un D n'est pas faisable. Tout disparaîtrait et son monde n'aurait plus sens. Il reste au point A. Ironiquement, sans le vouloir. Rien n'est palpable. Doucement, il pense que toucher le bord, simplement, est plus prudent. Quid de la prudence ? On s'en fout. Allez, vas-y jusqu'à la prudence. Prends ton pied et marche dessus. Écrabouille-la en te tenant droit dessus, planté comme un drapeau sur un satellite. Il y est, il y est. Rame. Jefferson rame. Comme il peut. Il se perd il se cache la lumière et voudrait des pairs. Il n'en a pas, nulle part et en nul temps. Tout ce qui reste est dans son nom où se sont échappés les points. L'embarcation creuse sa route parmi les éclats de spots lumineux ondulants. Qu'ils crèvent tous, avec leur attention vide d'existence. Ce monde est vide, alors lui ne peut être touché par rien d'autre que ce monde. Mais dans cette mare ridicule, il s'oublie et ne ressent plus que l'absence. Du monde. Les phrases pompeuses lui viennent à l'esprit pour décrire tout cela en détail mais il est trop tard. Jefferson rame. Et encore pour un bout de temps, oui.

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Samedi 5 janvier 2013 à 7:33

 Jefferson ne dort pas dans le noir. Il préfère marcher dans l'obscurité inconnue. On ne la connait jamais, mais lui tente de la dompter. Bien sûr il s'y trompe. Ce n'est pas avec un œil ouvert en guise de fouet et une ampoule usagée comme cercle de feu qu'on mate la nuit. Mais il compte bien essayer, pour l'amadouer et en faire une compagnie plaisante à sa personne. La promener, jouer avec elle, la gagater, manger avec elle. Ah que t'en serais fou. Mais une fois venu le jour, elle s'enfuirait à grandes pattes, te laissant seul pendant ton sommeil. Oui, parce qu'il faut dormir, alors si la Nuit est ton amie, le Jour est ton lit. Jefferson ne tremble pas dans le songe. Rêver éveillé dans la nuit, il a toujours fait ça. Depuis le tout début de tout. S'il le veut, il y aura une fin. Mais pour l'instant c'est la Nuit d'entre les jours son obsession. La lune est absente, encore. Il essaye de se rappeler depuis quand il ne l'a pas vu. Ça devait remonter au jour où il l'avait bue. Le ciel était doux et liquide, un nuage de sucre, un de lait, et la lune avec. En plein jour. Comme goûter on a vu mieux. Quand vint la nuit de ce jour, elle eut peur et se cacha derrière une éclipse jusqu'au petit jour où elle prit tangente et hypoténuse. Les nuits sont des sciences. Jefferson ne monte pas dans les étoiles. Il laisse ça à celui qui n'arrive pas à les mener à lui et préférant alors les barreaux d'échelles pour la fierté de toucher l'espace, si une telle personne existe. Mais l'autre n'existe pas ici. Les étoiles viennent d'elles-mêmes, attirées par le rêveur des Nuits comme un morceau de pain dans la mare. Et elles dansent l'évidence comme elles chantent la sauvagerie de la Nuit. Celle de ce jour est particulièrement bestiale. Jefferson n'est pas dans la peur. Cette nuit-ci l'a entouré de ses bras souples et l'a libéré en lâchant un délicat cri moelleux. Subtil, trop, pour les astres nocturnes et noctambules en bulles. C'est ça, noctambule. Il passe la Nuit en bulle. Dans sa petite bulle où il vit les jours et les nuits. Jefferson ne vit pas dans un rien. Il s'évertue à remplir le vide, peu importe le moment. Journée. Nuitée. Et aussi entre.

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Dimanche 9 décembre 2012 à 23:23

 Jefferson s'entend. Cependant il ne parle pas. Il y a comme un écho dans sa tête. Comme un chat ébouillanté errant d'un bout à l'autre de ses oreilles. Allongé sur une pierre morte, ses bras occupent l'espace du cadavre. Activité cérébrale : zéro. Tout à recommencer, du milieu à la fin. Il aimerait ajouter un début dedans, il ne peut l'ordonner. Sa vie est vaine, ce n'est pas un désavantage ni une condition, même pas une désolation. Il en est conscient et s'en plaît tout à fait. Une vie vaine, quoi de mieux pour vivre. Aucun but à satisfaire, pas poids sur les épaules, à peine une responsabilité. Il fait ce qu'il veut, pour lui, sans chercher utilité. La vanité peut être un investissement à long terme. Jefferson s'étend. Les épaules peu penaudes d'avoir la place nécessaire pour faire des mouvements de va-et-vient. Il n'y aura pas d'enfin dans sa vie. Pas de résultat probant d'une vie utile et travailleuse. Il ne fera rien et arrive à vivre. Les champignons qui poussent sur la pierre morte remontent le long de ses jambes. C'est désormais un arbre à champignons. Champignons, champignons, et la musique arrive. Un doigt bat le rythme asymétrique puis le pied s'enfouit dans la terre. Jefferson se répand. Il n'y a pas de quoi en faire un dessert. Rien de grave rien de copieux. Des chatouilles se perdent. Il n'a jamais été petit, il ne s'en souvient pas. Pas de mémoire, pas d'existence. Seul, toujours, dans le monde, dans la terre, sur la terre et sur la pierre. Il respire. Il respire sur le moment et il respire encore. Sa guerre n'a pas d'ennemi, quoique... L'effort. Ils ne sont pas amis, on ne peut pas dire ennemis non plus. Ils sont, certes. Ça fait deux. C'est trop, ou pas trois donc pas assez. Jefferson s'attend. Il doit s'attendre soi-même sinon personne ne l'attend. Personne ne peut l'attendre. Redondance. L'effort va trop vite et donc il y a l'attente. Ouf, ça fait trois. Lui, l'effort et l'attente. L'effort l'attend, il force l'attente, l'attente les sonne. Jefferson se détend. S'il y avait une horaire, ce serait celle de ne rien faire. Cette fois ça a été vite. Très rapide. Un effort de vitesse. Plaisamment. Pour une fois. Enfin.

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Dimanche 4 novembre 2012 à 3:20

 V'là. J'ai commencé un p'tit truc. Je voulais transposer un bout de moi, de mes états. Et puis ça s'est transformé. J'sais pas si c'est bien, mais... Vous verrez. Tu verras.


 Comment débuter la narration de ce douloureux périple ?

 Tout d'abord, il faut remonter à l'ignorance. Tout le monde est ignorant. Certains plus que d'autres, certes. Mais il n'est nul humain sur Terre possédant toutes les connaissances du monde. Ou bien il est appelé "menteur".

 Mais vivre conduit inévitablement à apprendre. Il faut apprendre à vivre.

 C'est ainsi que Jeff, ignorant de base comme tous ses petits amis, apprit une chose qui changea le reste de sa vie. Il apprit qu'il détenait le savoir du monde. Il suffisait qu'on lui parle d'un sujet pour qu'il sache tout dans les secondes suivantes. Et il sut qu'il pouvait out savoir lorsqu'une de ses amies lui demanda : "comment tu sais tout ça ?"

 Avant cette innocente question, Jeff vivant ignorant de ce savoir. Il savait et comprenait chaque sujet de discussion, mais n'avait jamais cherché à savoir comment. Il habitait une maison un tantinet rustique mais qui lui plaisait bien. Le toit en tuiles avait peu de fuites, les fenêtres n'avaient pas de volets mais il en profitait pour regarder le paysage les nuits éclairées par la lune. À sa porte débutait le chemin de l'école. Il s'y sentait à son aise, à l'école. Évidemment, il savait déjà tout. Géométrie variable, algèbre, littérature, sciences humaines, physique, astronomie. Jeff savait tout, mais il fallait quelqu'un pour le lui rappeler. Et poli comme il était, il n'osait pas exposer tout son savoir. Seul l'activité physique et sportive lui faisait défaut. En effet, dans cette matière, bien qu'il faille des connaissances, il faut avant tout pratiquer. Et Jeff préférait s'allonger en rêvant plutôt que courir ou taper dans une balle.

 Un jour, à la cantine, alors que ses amis parlaient d'un film diffusé la veille à la télévision, Jeff expliquait à Agatha une courte période de l'histoire de l'art. Agatha avait effectivement visité un musée pendant les dernières vacances et racontait ce qui lui avait plu à Jeff. Et tandis qu'il décrivait l'arrivée du Quattrocento en Europe, elle fut curieuse par le savoir étonnant de Jeff, alors qu'il avait à peine assez d'argent pour aller au cinéma. Elle lui demanda :

 « Dis Jeff, comment tu sais tout ça ? » Et Jeff sut. Il ne répondit pas tout de suite. Comment annoncer que l'on possède tout le savoir du monde ? Puis il décida de mentir. « Je l'ai lu dans un livre. » Agatha parut peu convaincue, mais s'en satisfit. Jeff, lui, fut chamboulé. Il pouvait tout savoir. Mais il devait à tout prix garder ce secret. Personne ne devait être au courant.

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