Mondes-Perdus.Malade-Palpitant

"Bon, on y va ?"

La phrase avait été lâchée ainsi, doucement, concisément, sans hésitation, presque susurrée à l'oreille de chacun. C'était une phrase en forme de question et à fond d'ordre. Une de ses phrases dites avec tant d'assurance que l'on se sent presque rassuré par le contenu. Une phrase qui dirigerait des moutons perdus sans savoir que faire. Une phrase qui indique la marche à suivre quand une hésitation flotte dans l'air.

Et l'effet n'en fut pas moins diminué. Si la voix avait été paisible, l'action qui s'en suivit fut semblable à la détonation d'un énorme explosif. Un capharnaüm organisé. Des grincements de chaises frôlant le sol, des heurts provoqués par le violent atterrissage de montres métalliques sur le sol rugueux, des bruits sourds de pas, de multitude de pas.

Une centaine d'hommes et de femmes avancèrent vers la lumière du jour, laissant derrière eux une pièce évidée de temporalité. Leur action commençait par eux-même.

Ils ne se regardaient pas, préférant sortir de leurs poches des montre-bracelets, des montre-goussets, des réveils, des téléphones portables, des chronomètres, des clepsydres, et des sabliers. Ils les gardaient en mains, tous, tout en progressant dans une étroite ruelle donnant sur une avenue.

"Allez-y quand vous voulez" dit une voix. La même. Toujours aussi douce et remplie d'assurance.

Ce fus une femme qui commença. Elle tenait une vieille montre-gousset attachée à une chaîne dorée. Elle la tendit en l'air, puis la lâcha brusquement. Le cliquetis des aiguilles s'interrompit à jamais. La femme continua à marcher, sans rien dire, regardant tout somplement devant elle. Un homme suivit son geste et lança à terre un petit réveil noir et rectangulaire en plastique.

Un enfant regarda par la fenêtre de sa maison et observa attentivement cette foule silencieuse qui se mouvait dans la rue. Une voiture arriva et fut rapidement bloquée. Klaxon. Et encore, et encore... Trois vieilles dames sortirent leur nez de leur journal au profit de leurs carreaux.

Cinq personnes fracassèrent leur montre contre le bitume, pratiquement en même temps. Klaxons, encore. Tous les voisins étaient dehors. Quelques uns s'étaient même décidés à parler aux personnes du premier rang du mouvement, qui continuait sa marche.

Soudain, un homme sortit de chez lui, une pendule à ses bras. Il s'arrêta devant la rue, regarda en l'air pour murmurer une phrase inaudible, et jeta violemment son coucou contre le trottoir. Ce fut le début d'un changement.

De nombreuses personnes rentrèrent chez elles pour revenir avec comtoises, réveille-matins et même horloges solaire. La foule doubla de volume.

Derrière elle, derrière cette masse noire et continue, il ne restait que les restes, les débris de compteur de temps. Et ce n'était que le début.



Les Hommes avaient voulu contrôler l'indomptable et l'incalculable. Le temps, pourtant intemporel, était mit sous clef.
Sans mauvais jeu de mot, il était temps de le libérer.

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